L'Islam étranger

بِسْمِ اللهِ الرَّحْمنِ الرَّحِيمِ

Au Nom de Dieu, le Clément, le Miséricordieux.

Louanges à Dieu, Seigneur des mondes ! Que les prières et la paix soient sur le Bien Aimé, notre maître Muhammad, et sur l’ensemble des envoyés de Dieu, qu’Il soit loué et glorifié.

La tradition prophétique enseigne que :

« L’Islam a débuté étranger, et il redeviendra étranger comme il a débuté, que les étrangers soient donc récompensés ».

(بَدَأَ الإِسْلامُ غَرِيبًا ، وَسَيَعُودُ كَمَا بَدَأَ غَرِيبًا ، فَطُوبَى لِلْغُرَبَاءِ)

(rapporté par l’imam Muslim)

Cette tradition a fait l’objet de nombreux commentaires. Différemment nuancés selon les auteurs et les époques, ils arrivent tous à une même conclusion : il s’agit d’un marqueur avancé de l’Heure, et plus généralement, d’une description globale du déclin.

Cette explication, jusqu’à nos jours, semble être jugée satisfaisante par les théologiens musulmans, puisqu’aucun d’entre eux n’a trouvé utile de chercher en ce hadith un autre dessein. Or, la nécessité des enjeux actuels nous oblige à sortir des sentiers battus pour trouver en cette prophétie la description explicite de ce qui causera ce déclin annoncé, dans la démarche du devoir permanent de Réhabilitation. Mais en premier lieu, il convient de définir précisément ce qu’est l’Islam.

 

L’Islam est la recherche et la mise en pratique, dans l’héritage de la Révélation, des prescriptions divines qui permettent à l’Homme d’accomplir le dépôt adamite. Cet effort concerne tous les aspects de l’existence, et implique un élargissement permanent des modalités d’exploration des Textes au fur et à mesure de l’évolution de l’humanité dans le Temps, l’Espace, et la Matière.

Par la révélation du Coran, Le Très-Haut, exalté soit-Il, met à disposition de l’humanité l’ensemble des ressources dont elle a besoin pour effectuer cet effort. Et Dieu dit : « […] Aujourd’hui, J’ai rendu parfaite votre Religion, J’ai parachevé Ma grâce sur vous et J’ai agréé l’Islam pour être votre Religion. À l’égard de celui qui serait contraint par la faim de consommer des aliments interdits sans intention de pécher, Dieu est Pardonneur, Clément. » (s5v3)

La nourriture authentique du fils d’Adam, par laquelle il alimente son corps, son cœur, et son âme, est celle de la Vérité, décrite dans les Textes révélés. Le fidèle n’est pas tenu coupable, donc, de s’en détourner lorsqu’il est contraint de le faire, mais doit faire le nécessaire pour puiser en eux les recours dont il a besoin pour réaliser sa mission : établir sur Terre la Civilisation de la Foi, en laquelle il trouvera le bonheur et la proximité avec Dieu, dans tous les aspects de sa vie. Et le Seigneur précise, loué soit-Il : « […] Nous n’avons rien négligé dans le Livre. […] » (s6v38)

 

Les premières générations de musulmans ont pérennisé le Message de l’Islam, et sa bonne compréhension, en développant les outils nécessaires à sa transmission au regard des préoccupations de l’époque. Ils établirent ainsi un ensemble de méthodologies autour du crédo, de la jurisprudence, de l’éthique et de la spiritualité, qui se prolongèrent en institutions. Puis, toujours par l’inspiration de la Foi, les musulmans ont élargi la gamme des savoirs issus de la Révélation en les orientant vers la compréhension des structures de la Création, pour aboutir à des applications concrètes en vue de faciliter le quotidien, tout en revisitant pour l’occasion, et à la lumière des Textes, l’ensemble des connaissances acquises jusqu’alors par l’humanité. Ce fut l’âge d’or de la civilisation musulmane.

En effet, les conditions de vie évoluant sans cesse, la Foi doit être source d’inspiration pour toute chose, tant pour la pratique du culte que pour le reste des domaines qui conditionnent l’existence de l’être humain. De fait, et aussi fondamentales qu’elles soient, les sciences islamiques classiques, principalement articulées autour des actes cultuels et de la jurisprudence du quotidien, n’en sont pas moins originelles et primitives si l’on considère le dépôt adamite dans tout ce qu’il est : établir la Civilisation de la Foi. Elles sont le minimum nécessaire à la mission de l’homme sur Terre, mais ne constituent que le début, le premier pas, de ce que doit être le comportement de la communauté des croyants vis-à-vis des Textes.

 

Dans un précédent commentaire nous avions défini les quatre piliers essentiels de la Religion : l’application des prescriptions légales, l’adhésion au crédo, le changement des cœurs et des comportements vers l’excellence, et l’orientation de la vie quotidienne dans une démarche de Réhabilitation permanente par la recherche de la proximité avec Dieu, loué soit-Il. Ce dernier domaine de la Religion, connu dans les Textes sous la notion de l’Heure (as-Sa`ah), a été dramatiquement négligé, tant par les dignitaires religieux que par les penseurs du monde musulman. Au mieux, il constitue chez certains un ensemble de compétences parallèles et subordonnées qui viennent éclaircir la mise en pratique de quelques dispositions légales. Ceci, alors même que le devoir de Réhabilitation permanente, pour l’établissement et le maintien de la Civilisation de la Foi, est la finalité des trois autres domaines de la Religion. Ou plutôt, ils sont la condition minimale qui rendent possible à l’homme d’honorer le dépôt adamite, mais ne suffisent pas en eux-mêmes à assurer la continuité et la validité plénière du devoir collectif de l’humanité. Ainsi, et comme pour toute branche de la Religion, il est nécessaire d’extraire des Textes les dispositions de ce quatrième pilier. Ce qui implique, pour la communauté des croyants, de développer une méthodologie qui lui est propre.

Le fait que les disciplines directement cultuelles disposent déjà de leurs outils pour extraire de la Révélation le décret de Dieu dans leurs domaines spécifiques ne dispense pas le fidèle d’avoir recours aux Textes pour chercher les prescriptions de Dieu, loué soit-Il, pour les préoccupations du destin collectif. Bien au contraire, les carences en ces domaines expliquent en grande partie, si ce n’est en totalité, le déclin profond du monde musulman, et même de la civilisation humaine dans son ensemble. Pour comprendre ce phénomène, il faut là encore revenir en arrière pour comprendre ce qui poussa les musulmans à établir leurs institutions religieuses, qu’elles soient méthodologiques ou représentatives.

 

Dès la mort du Prophète, paix et prières soient sur lui, les premières dissensions apparurent, aussi bien sur des questions théologiques que jurisprudentielles. La divergence étant permise en Islam, l’important fut d’en définir le cadre légal et orthodoxe qui rassemble les musulmans autour de dispositions communes. Par ailleurs, avec l’élargissement du monde musulman, mélangeant ainsi diverses populations et différentes cultures, il fut nécessaire de pérenniser le matériel initial à la bonne compréhension des Textes. Le besoin de ces organisations dans l’enracinement et le développement du savoir fut rendu visible par l’urgence de la situation de l’époque. Lorsqu’une carence se manifeste, le croyant sincère cherche en effet à s’interroger et à mettre en cause le rapport qu’il entretient avec le Livre Sacré de Dieu, loué soit-Il, et la tradition prophétique.

C’est ainsi que l’ijtihad (l’effort de compréhension) des premières générations, au sens global du terme, fut la recherche du meilleur positionnement méthodologique dans l’exploration des Textes, au regard d’un objet de recherche défini. Par glissement au fil du temps, la notion d’ijtihad a changé pour devenir désormais, en pratique, l’effort de compréhension d’un contexte en vue d’extraire des Textes la directive divine sur une situation donnée, par l’outillage des institutions établies. Ce changement ne pose aucun problème si les préoccupations en question s’articulent autour de leurs domaines de compétence. Le véritable danger de cette évolution, cependant, se présente dès lors que des complications nouvelles apparaissent, pour lesquelles les institutions historiques de l’Islam ne sont pas préparées, mais se retrouvent sollicitées par défaut et avec entêtement, sans qu’un effort parallèle de redécouverte des Textes soit enclenché. Dans ces conditions, la seule finalité possible est l’aggravation des difficultés et un pourrissement généralisé.

Cette transformation de la notion d’ijtihad rend impossible aux fidèles, en effet, et si l’on s’en réfère au mode de fonctionnement actuel des institutions islamiques, de réinterroger leur rapport aux Textes, et les méthodologies qu’ils emploient pour extraire de la Révélation les solutions prescrites. Ce glissement oblige alors la communauté des croyants à aller chercher des solutions au travers de mécaniques qui ne sont pas en mesure d’en produire. C’est la situation que nous vivons actuellement, malheureusement, alors même que ce contexte d’urgence dans lequel nous sommes rend visible, comme ce fut le cas pour les Anciens, la nécessité d’établir les dispositions nécessaires à l’élaboration de nouveaux outils, en vue d’apporter la réponse du dépôt adamite aux défis qui se présentent à l’humanité dans la responsabilité du destin collectif.

 

Lorsque Dieu, loué soit-Il, décrit un domaine de responsabilité, dans Son Livre Sacré ou par l’enseignement de Son Bien-Aimé, paix et prières soient sur lui, c’est toujours par son extrémité et sa finalité. Les fondements de l’Heure (as-Sa`ah) sont décrits par la succession d’évènements qui surviendront à la Fin des Temps. Il faut ainsi comprendre que l’émergence de ce quatrième pilier de la Religion se manifestera par les prémices du déclin de la Civilisation, et avec elle le besoin d’établir un matériel méthodologique et institutionnel nouveau, complémentaire, comme pour tous les autres domaines de la Religion, mais cette fois-ci beaucoup plus tard que le reste du savoir islamique, d’où sa nature eschatologique.

Aussi, le devoir d’établir la Civilisation de la Foi étant la définition même du dépôt adamite, nous avons choisi de nommer la démarche méthodologique inhérente à la question de l’Heure « eschatologie révolutionnaire », tant pour les raisons que nous venons d’évoquer que pour la nature des applications qui doivent en découler : constituer une capacité d’opposition à l’empire du Dajjal (l’Antéchrist).

Nous en profitons donc pour répondre en quelques mots à ceux qui considèrent que le renouveau de la mobilisation islamique se fera par une réforme de l’Islam, et à ceux qui pensent que puiser simplement dans les institutions actuelles de la jurisprudence suffira à déclencher cette dynamique.

Réformer les institutions de l’Islam, méthodologiques ou représentatives, ne fera que précipiter le déclin et la Chute annoncée. L’arrivée de problèmes inédits ne remet pas en cause la pertinence du patrimoine islamique qui nous est parvenu, mais valide plutôt son authenticité, ce qui rend obligatoire de le préserver. En effet, al-Islam, al-Imane, et al-Ihsane définissent une Loi, un Cadre, et une Aptitude. La mobilisation de conscience pleinement réalisée s’opère lorsque ces trois éléments sont réunis, dans un cœur ou dans une nation. La nature eschatologique de notre monde contemporain nous oblige à les investir dans une modalité nouvelle, effectivement, mais qui n’implique pas d’en redécouvrir les fondements. La réhabilitation des consciences, au contraire, viendra de l’apparition d’outils nouveaux qui permettront de conserver la substance de ces trois premiers piliers de la Religion, malgré la survenue des difficultés du monde moderne. C’est là une autre manière de définir ce qu’est « l’eschatologie révolutionnaire ».

Quant à ceux qui considèrent que les institutions de l’Islam, en l’état actuel des choses, ont les ressources suffisantes pour opérer cette dynamique, nous leur disons c’est l’état même de ces institutions qui est à l’origine de ce marasme, qui touche le monde musulman dans son ensemble et à tous les niveaux. Il est vrai que, pour un certain nombre de dignitaires religieux, qui se considèrent comme seuls et uniques légataires légitimes du savoir de l’Islam, il est difficile d’admettre ou de concevoir que c’est de l’amalgame qui existe entre leur statut et la science qu’ils incarnent qui constitue le principal blocage d’un renouveau que tous les croyants appellent de leurs vœux. Car l’héritage, nous venons de la voir, qu’ils ont entre leurs mains, n’est pas la finalité de la Civilisation de la Foi, mais son point de départ uniquement.

Ces deux options, dramatiquement stériles, alimentent toutes sortes de polémiques interminables entre érudits, pourtant bien intentionnés nous n’en doutons pas, mais qui ne débouchent sur rien d’autre que des dissensions, parfois violentes et de plus en plus graves, entre croyants.

 

La réponse à cette paralysie qui ronge actuellement le monde musulman est donc, selon nous, celle de « l’eschatologie révolutionnaire » : un élargissement des institutions de l’Islam, méthodologiques et représentatives, par le développement de nouveaux champs d’investigations, et le transfert partiel d’autorité qui en découle.

 

Revenons maintenant au hadith qui fait l’objet de cet article : « L’Islam a débuté étranger, et il redeviendra étranger comme il a débuté, que les étrangers soient donc récompensés ».

« L’Islam a débuté étranger », car un ensemble de problématiques inhérentes à la période post-Révélation immédiate se présentera aux premières générations de musulmans, qui seront obligés de positionner leur rapport aux Textes afin d’en extraire les outils d’exploration nécessaires à la pérennisation de la conscience islamique. Ils devront alors voyager dans des contrées inconnues, celles de la vérité de Dieu, loué soit-Il, à travers l’exégèse de Son Livre Sacré et l’enseignement du Prophète, paix et prières soient sur lui, pour constituer les institutions fondamentales à l’émergence de la Civilisation de la Foi, étrangers qu’ils seront alors face à cet ensemble d’instruments nouveaux.

« Et il redeviendra étranger comme il a débuté », car des difficultés inédites apparaîtront, bien plus tard, lorsque les signes de l’Heure (as-Sa`ah) seront de plus en plus manifestes. Les croyants sincères seront alors contraints de franchir une fois encore les frontières du monde connu par l’exploration des Textes sous une modalité eschatologique, qui débouchera sur la redéfinition de l’outillage religieux constitué et l’émergence de dispositifs nouveaux, qui constitueront le chemin de la Réhabilitation. Ils redeviendront étrangers, donc, dans une terre pourtant largement appréhendée.

« Que les étrangers soient donc récompensés », car cette démarche sera, ce jour-là, la voie du salut et du renouveau. Les chercheurs de Vérité seront alors étrangers à double titre : face à leurs contemporains, et face à l’immensité des Textes qu’ils devront une fois encore explorer, dans un effort de réveil des consciences. Car il ne s’agira plus de construire un patrimoine, déjà constitué, mais d’en faire une force d’opposition à l’empire du Dajjal, qui sera la force dominante de ce bas monde.

 

Nous disons donc que ce hadith est un état des lieux très précis de la situation actuelle de la conscience spirituelle dans le monde, et qu’il ne tient qu’aux bonnes intentions de se rassembler pour mettre en œuvre le processus du renouveau.

 

Et Dieu est seul Savant.

Louanges à Dieu, Seigneur des mondes.

 

 

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